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L’ACROnique de Fukushima vous propose un suivi régulier des évènements liés à la catastrophe nucléaire en cours au Japon ainsi qu’une reconstitution des évènements des premiers jours. Ce travail est effectué par l’ACRO, association dotée d’un laboratoire d’analyse de la radioactivité qui s’est beaucoup investie pour venir en aide aux populations affectées par les deux accidents majeurs qui ont eu lieu à Tchernobyl et Fukushima. Elle a notamment fortement soutenu la création d’un laboratoire similaire à Tôkyô.

Pour suivre la situation en Ukraine, allez sur le site de l’ACRO

L’association a aussi analysé les plans d’urgence de plusieurs pays en cas d’accident nucléaire grave.

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ACRO Tchernobyl, 30 ans après Transparence nucléaire


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Début du rejet en mer de l’eau contaminée traitée à la centrale de Fukushima daï-ichi

L’accumulation d’eau contaminée est l’un des problèmes majeurs auxquels doit faire face TEPCo à sa centrale de Fukushima daï-ichi. Après des années de tergiversations, de communication arrogante, de promesses intenables, le gouvernement japonais a donné son feu vert au début des opérations de rejet en mer de l’eau contaminée traitée par la station ALPS. Le principe avait déjà été acté en 2021. Le rejet débutera le 24 août 2023 à 13h heure locale et se fera via un tunnel mer long de 1 km. Voir le communiqué de TEPCo sur le sujet, avec un document explicatif, et la page dédiée.

Rappelons que l’eau utilisée pour le refroidissement du corium, ce mélange de combustibles et débris fondus, se contamine avant de s’écouler dans les sous-sols où elle se mélange à l’eau souterraine qui s’y infiltre. TEPCo pompe dans les sous-sols, décontamine partiellement cette eau avant d’en réinjecter une partie pour le refroidissement. Le surplus est entreposé dans des cuves. Au 3 août 2023, le stock s’élève à 1 343 227 m3, selon le portail de la compagnie. Cela occupe 98% de la capacité d’entreposage.

Le traitement consiste à filtrer 62 radioéléments. Mais, rappelons aussi que le traitement n’a pas toujours été bien effectué et que 70% de ce stock doit être repris pour être traité à nouveau :Initialement, TEPCo voulait simplement diluer cette eau “mal-traitée” qui ne satisfaisait pas aux autorisations de rejet. Face au tollé, elle a dû s’engager à retraiter cette eau autant qu’il le faudra. Ainsi, l’eau qui sera rejetée à partir du 24 août est conforme, sauf pour le tritium.

Le tritium est de l’hydrogène radioactif qui entre directement dans la composition de la molécule d’eau. Il est donc très complexe à filtrer car il faut séparer de l’eau tritiée de l’eau non tritiée. Le stock total de tritium dans les cuves dépasse largement l’autorisation de rejet annuelle (22 TBq) de la centrale et le rejet sera donc étalé sur une trentaine d’années afin de ne pas dépasser cette limite. La concentration peut aussi dépasser la concentration limite autorisée (60 000 Bq/L). TEPCo s’est engagée à diluer cette eau avec de l’eau de mer avant rejet de façon à ce que la concentration lors du rejet soit inférieure à 1 500 Bq/L, soit une concentration au moins 40 fois inférieure à la limite.

En 2023, TEPCo prévoit de rejeter 5 TBq (térabecquerels ou 1012 Bq) de tritium sur les 22 autorisés annuellement.

A titre de comparaison, la centrale de Chinon, en France, est autorisée à rejeter 80 TBq de tritium par an dans la Loire (source). Et ce tritium se retrouve dans l’eau du robinet en aval, comme l’a montré l’ACRO. A l’usine de retraitement de La Hague, la limite annuelle de rejet dans la Manche est de 18 500 TBq pour le tritium (les rejets effectifs de ces dernières années variaient entre 11 400 et 13 200 TBq par an). Ainsi, le stock de tritium dans les cuves de Fukushima, qui sera rejeté en 30 ans, représente environ 30 jours de rejet à La Hague ! Pour l’usine de retraitement japonaise, à Rokkashô-mura, qui n’a toujours pas été mise en service après 26 années de retard, la valeur cible pour les rejets en tritium y est de 9 700 TBq par an (source).

Le rejet contrôlé qui débutera le 24 août n’est pas le seul rejet en mer de la centrale de Fukushima daï-ichi puisque l’eau souterraine y est fortement contaminée et finit par s’écouler dans la mer. D’après les contrôles effectués par TEPCo, on retrouve du tritium dans l’eau de mer le long du rivage au pied de la centrale. Les concentrations sont de quelques becquerels par litre (jusqu’à 32 Bq/L le 17 août dernier). Il est difficile de quantifier ces rejets non contrôlés.

Il n’y a pas que le tritium dans les rejets à venir. Ce tableau de TEPCo (copie) donne la concentration résiduelle pour quelques radioéléments significatifs. Il est important de noter que les analyses ont aussi été effectuées par un laboratoire tiers, alors que TEPCo s’y est longtemps opposé. Il reste notamment 2 Bq/L d’iode-129, 14 Bq/L de carbone-14 et… 140 000 Bq/L de tritium. L’iode-129 et le carbone-14 sont aussi rejetés en mer par l’usine de retraitement de La Hague en bien plus grandes quantités.

TEPCo ne sait toujours pas quoi faire des déchets issus du filtrage de l’eau contaminée, comme nous l’avons déjà expliqué.

C’est la fin d’un long processus où les autorités et TEPCo n’ont pas brillé par leur transparence et sincérité. En 2018, lors des premières consultations sur le rejet en mer de l’eau traitée, TEPCo avait caché que 80% du stock dépassaient les limites de rejet. La compagnie voulait simplement diluer le rejet pour que les concentrations passent sous les seuils. Face au tollé, elle s’était finalement engagé à retraiter cette eau autant de fois qu’il le faudra… Ce n’est qu’en 2020 que TEPCo a reconnu qu’il y avait aussi du carbone-14 non filtré dans l’eau. En juin 2020, 17 communes de Fukushima avaient pris position contre le rejet en mer, tout comme l’industrie de la pêche. Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme avait dû demander au Japon de respecter ses obligations et de prendre le temps de consulter les populations. Mais les autorités japonaises n’ont qu’une seule stratégie : Décider – Annoncer – Défendre (DAD). Et toute critique est rabaissée au rang de rumeur néfaste… A l’issue du sommet du G7, qui s’est tenu en mai dernier à Hiroshima, le gouvernement a sciemment traduit en japonais dans le sens qui l’arrange le communiqué final, comme l’explique Libération : Il fait dire en japonais à ses pays partenaires que « le rejet de l’eau traitée en mer est essentiel pour le démantèlement de la centrale de Fukushima et la reconstruction de la région », alors que la phrase originale du communiqué en anglais pose comme «essentiel» le fait que cette opération soit conduite « conformément aux normes de l’AIEA sans causer de nouveaux dommages aux humains ou à la nature »

Il y a huit ans, le gouvernement avait promis aux pêcheurs qu’il n’autoriserait pas le rejet en mer sans leur accord. Et TEPCo n’a pas pris la peine de rencontrer les fédérations de pêcheurs avant l’annonce gouvernementale sur la date de rejet, comme le soulignent l’Asahi et le Maïnichi. In fine, le rejet va commencer sans leur accord…


Mise à jour : Le rejet a bien débuté le 24 août vers 13h, comme prévu. Ce premier essai devrait durer 17 jours pendant lesquels TEPCo devrait rejeter 7 800 m3 d’eau.

Onzième réacteur nucléaire remis en service depuis le la catastrophe de Fukushima

Le plus vieux réacteur nucléaire du Japon, Takahama 1, a été remis en service le 28 juillet à 15h. Mis en service en 1974, il était à l’arrêt depuis janvier 2011. C’est le onzième réacteur à être remis en route après l’établissement de nouvelles règles de sûreté en réponse à la catastrophe nucléaire de Fukushima. Les dossiers de sûreté de 25 réacteurs ont été soumis à l’autorité de régulation nucléaire. Les réacteurs plus anciens de Takahama 1 ont été arrêtés définitivement.

Takahama 2, mis en service en 1975, arrêté en novembre 2011, devrait être remis en service en septembre prochain. Ces deux réacteurs ont donc plus de quarante années d’exploitation et ont donc bénéficié d’une autorisation “exceptionnelle” d’être exploité jusqu’à 60 ans. Le gouvernement actuel a autorisé à aller au-delà de la limite de 60 ans en décomptant les périodes d’arrêt.

La région de Fukui avait mis comme condition qu’un site soit trouvé ailleurs pour l’entreposage des combustibles usés. Elle semble s’est contentée de la promesse d’envoi de 200 tonnes en France. Se pose aussi la question de l’évolution de la sûreté de réacteurs aussi vieux, qui n’ont pas tourné pendant douze ans.

Dépistage du cancer de la thyroïde chez les jeunes de Fukushima – 48ème réunion du comité de suivi

Les dernières données officielles sur le dépistage du cancer de la thyroïde chez les jeunes de Fukushima ont été mises en ligne, suite à la 48ème réunion du comité de suivi. Une traduction non-officielle en anglais sera disponible ici. Pour rappel, nous avions publié, en 2021, à l’occasion du dixième anniversaire de la catastrophe, une revue de littérature scientifique sur le sujet. Et le précédent bilan, issu de la 47ème réunion est ici.

Rappelons que tous les jeunes de Fukushima, qui avaient moins de 18 ans lors de la catastrophe nucléaire ou qui étaient encore dans le ventre de leur mère (nés entre le 2 avril 1992 et le 1er avril 2012), peuvent bénéficier d’un dépistage tous les deux ans par échographie. Même si le taux de participation baisse, certains en sont à leur 5ème examen médical. Après 20 ans, le dépistage suivant se fait tous les 5 ans. Certains ont dépassé la trentaine et viennent d’apparaître dans le bilan.

Le tableau ci-dessous synthétise les données issues du dépistage officiel qui sont ici en japonais. Elles sont datées du 31 mars 2023 pour les dépistages les plus récents (5ème campagne, à 25 ans et 30 ans). Comme le taux de dépistage diminue au fur et à mesure des campagnes, le nombre de cas réel est forcément plus élevé. De plus, les cas de cancer détectés en dehors du programme de suivi ne sont pas pris en compte, même si l’intervention chirurgicale a eu lieu à l’université de médecine de Fukushima, en charge du suivi… Enfin, le dépistage gouvernemental n’a lieu que dans la province de Fukushima alors que les provinces voisines ont aussi été touchées par les retombées radioactives. Les cas de cancer de la thyroïde qui pourraient y apparaître échappent aussi aux données officielles.

  Dépistages avec résultat Examens complémentaires terminés Cytoponctions Nombre de cancers suspectés Nombre de cancers confirmés
Première campagne 300 472 2 091 547 116 101
Deuxième campagne 270 552 1 834 207 71 56
Troisième campagne 217 922 1 068 79 31 29
Quatrième campagne 183 410 1 016 91 39 34
Cinquième campagne 108 250 812 68 34 26
Examen à 25 ans 11 674 500 43 22 14
Examen à 30 ans 1 474 58 5 3 1
Bilan des campagnes de dépistage du cancer de la thyroïde chez les jeunes de Fukushima au 31 mars 2023 pour les données les plus récentes.

Le dépistage du cancer de la thyroïde chez les jeunes qui ont eu 25 ans a débuté en 2017 et n’a été effectué que chez 9,1% des personnes concernées, selon le rapport dédié. Le nombre de cas réels est donc plus élevé que les 22 cas découverts (4 garçons, 18 filles). 13 d’entre eux n’avaient pas encore été examinés.

Le dépistage du cancer de la thyroïde chez les jeunes qui viennent d’avoir 30 ans a débuté en avril 2022 et le premier rapport concerne ceux qui sont nés entre le 2 avril 1992 et le 1er avril 1993. Le dépistage n’a été effectué que chez 6,7% des personnes concernées. Les 3 cas de cancer ont été découverts chez 3 filles.

On arrive à un total de 316 cas de cancer de la thyroïde suspectés suite au dépistage exercé par l’université de médecine de Fukushima. Parmi eux, 261 jeunes ont subi une intervention chirurgicale qui a conduit à identifier 258 carcinomes papillaires, 1 carcinome peu différencié, 1 carcinome folliculaire et 1 autre cancer de la thyroïde. Rappelons que lors de la première campagne, un nodule s’est révélé bénin après chirurgie.

Selon le rapport dédié à la cinquième campagne de dépistage, sur les 34 cas de cancer de la thyroïde découverts, il y a 8 garçons et 26 filles. 5 d’entre eux n’avaient jamais été examinés. Les 29 autres n’avaient pas de cancer lors de l’examen précédent (4ème campagne). 10 jeunes avaient moins de 5 ans en mars 2011, au moment de l’accident nucléaire, et 8 avaient 6 ans. Sur toutes les campagnes confondues, on arrive à un total de 19 jeunes qui avaient moins de 5 ans en mars 2011. Les très jeunes enfants ont été particulièrement touchés par les retombées radioactives de Tchernobyl. Lors des premières années de la catastrophe de Fukushima, l’absence de cas de cancer chez les très jeunes enfants lors de l’accident était utilisé comme argument pour prétendre que la radioactivité n’était donc probablement pas à l’origine de l’élévation significative du nombre de cancers de la thyroïde. Ce point est passé sous silence maintenant que plusieurs cas ont aussi été découverts à Fukushima.

Alors que les piscines françaises sont proches de la saturation, KEPCo va envoyer des combustibles usés en France

Les piscines de combustible usé de KEPCo, dans la province de Fukui, sont proches de la saturation. Comme l’usine de retraitement de Rokkashô-mura n’a toujours pas démarré malgré les 26 années de retard, la compagnie d’électricité du Kansaï doit construire de nouveaux entreposages. Les autorités de la province de Fukui où sont toutes les centrales refusent que ce soit sur leur territoire. Elles veulent bien l’argent du nucléaire, mais pas les déchets… Et pour faire pression sur la compagnie, elles ne donneront leur accord à la remise en service des réacteurs les plus anciens (Takahama 1 et 3, Mihama 3) que si KEPCo présente une solution pour les combustibles usés. L’électricien a désespérément cherché un autre site d’accueil, en vain pour le moment. Alors, ce sera en France, où la saturation des piscines est aussi un problème ! Plus précisément, KEPCo va en envoyer 200 tonnes, soit à peine 5% de son stock de combustibles usés. Mais cela suffit au patron de la compagnie pour se vanter d’avoir tenu sa promesse, selon l’Asahi. Certains politiciens locaux ont exprimé leur mécontentement, mais la province et les communes concernées dépendent financièrement du nucléaire. Elles sont donc obligées d’accepter ce compromis.

En ce qui concerne le retraitement, seulement 4 réacteurs sur les 10 remis en service au Japon peuvent utiliser du combustible MOx qui permet de recycler le plutonium extrait. Et comme le stock de plutonium est déjà largement suffisant, il n’y a pas lieu d’en séparer plus, le Japon s’étant engagé à ne séparer que ce qui peut être consommé. Difficile d’envoyer des combustibles usés en France sans perspective de retraitement.

Côté français, le bilan du recyclage après 57 années d’efforts est bien maigre : 2% de l’uranium de retraitement et le plutonium qui ne représente que 1% des combustibles. Et comme il faut décider avant 2030 la poursuite ou non du retraitement, Orano doit présenter des perspectives d’amélioration pour convaincre. Bien qu’elle ait encore plus de 11 000 tonnes de combustibles à l’uranium naturel enrichi à retraiter, la compagnie veut se lancer dans le “multi-recyclage” en traitant aussi le Mox beaucoup plus compliqué à retraiter.

Alors KEPCo a annoncé envoyer du MOx en France pour tester le “multi-recyclage” comme s’il n’y en avait pas assez sur place… Plus précisément, l’accord porte sur l’envoi de 10 tonnes de combustibles MOx usés et 190 tonnes de combustibles classiques d’ici la fin des années 2020, comme l’explique la Fédération des compagnies d’électricité du Japon dans un communiqué. Les deux types de combustibles seront mélangés avant d’être retraités, au début des années 2030. 200 tonnes, c’est presque 2 années de production de Mox français alors que les piscines seront à la limite de la saturation à la fin des années 2020. Est-ce réaliste ?

Les deux pays peuvent ainsi donner l’illusion que le retraitement a de l’avenir et afficher le renforcement de leur coopération sur le nucléaire. Côté français, Orano table sur un parc de 18 EPR pour le “multi-recyclage”, alors qu’il n’y en a que 7 de prévus pour le moment (voir sa présentation du 12 juin dernier dans le cadre de la concertation sur le projet de piscine)… Quant au Japon, ce n’est pas avec ses 10 réacteurs remis en service depuis 2011, dont 4 moxés, qu’il pourra recycler les matières séparées à La Hague ou dans son usine de Rokkashô, si elle démarre un jour.

La lutte contre les rumeurs néfastes progresse

Que faire de la terre contaminée qui a été décapée lors des travaux de décontamination et accumulée sur le centre d’entreposage centralisé tout autour de la centrale de Fukushima dan-ichi. Il y en a plus de 13 millions de mètres cube, selon le dernier bilan du ministère de l’environnement, qu’il faudra reprendre au bout de 30 ans, comme la loi l’y oblige, parce que, tous les territoires seront reconquis.

Le gouvernement veut “recycler” cette terre quand sa contamination aura baissé, mais les Japonais, victimes de “rumeurs néfastes”, ne sont pas convaincus. Alors, en mars 2020, le ministère de l’environnement avait installé cette plante en pot avec de la terre radioactive à son siège de Tôkyô :

Cela a dû être efficace puisque d’autres pots ont été installés dans les ministères et agences à Tôkyô ! Le taux de contamination moyen y serait de 5 000 Bq/kg (source, copie).

17 sites en dehors de Fukushima avec ces plantes. Le recyclage progresse… Il n’y a plus que 13 millions de mètres cubes à mettre en pots.

Du côté des experts français et internationaux du post-accident, c’est la “complexité” d’un tel accident, le mot valise qui englobe tout et n’importe quoi et permet surtout de ne pas parler de “radioactivité”. On ne sait pas s’ils ont enfin trouvé la solution pour y faire face.

Personnes déplacées à Fukushima

L’ACRO a effectué un suivi de la catastrophe de Fukushima et de ses conséquences pendant 11 ans de façon entièrement bénévole. Ce travail s’est arrêté au printemps 2022. Mais, suite à une demande de conférence sur le sujet, voici les dernières données disponibles concernant les personnes déplacées de la province de Fukushima.

Ce document (copie), daté du 8 mars 2023, regroupe les données concernant les victimes de la triple catastrophe et les personnes déplacées dans la province de Fukushima :

  • Le nombre de victimes directes est de 1 605, auquel il faut ajouter 226 personnes dont le corps n’a pas été retrouvé, mais avec une confirmation claire du décès. Le nombre de décès postérieurs dus à l’évacuation et la détérioration des conditions de vie est de 2 335. A titre de comparaison, selon l’Asahi, le nombre de décès indirects liés à la catastrophe est 470 à Iwaté et 931 à Miyagi.
  • Il y a encore, officiellement, 27 399 personnes déplacées à Fukushima, dont 21 101 en dehors de la province.

Selon une étude menée par l’université de Waseda, rapportée par l’Asahi, environ 37% des personnes déplacées de Fukushima souffrent de troubles du stress post-traumatique. Ce résultat est basé sur un questionnaire renvoyé par 516 personnes. Parmi les sources de stress les plus citées, il y a le problème des indemnisations, le chômage et le statut de personne déplacée. 34,5% des répondants étaient sans emploi au moment de l’étude (Janvier-avril 2022), pour moitié environ à cause de problème de santé.

Selon l’Asahi, sur les 80 000 personnes qui ont été forcées à évacuer de 11 communes en 2011, seulement 16 000 y sont retournées une fois les ordres d’évacuation levés. Dans les zones les plus contaminées, le taux de retour est inférieur à 1%.

La zone dite de retour difficile, où le niveau de contamination entraînait une dose annuelle supérieure à 50 mSv en 2011, couvre une surface de 337 km2. Des bases de reconstruction et revitalisation ont été désignées afin de permettre à certaines communes d’exister encore. Les derniers ordres d’évacuer dans ces bases ont été levés le 1er mai 2023. Cela concerne, en tout, 27 km2 répartis sur 6 communes. Voici la carte de ces 6 bases (SRRBA) extraite de ce document daté d’avril 2023 :Si ces bases ne représentent que 8 % de la zone de retour difficile, elles regroupaient 60 % de ses habitants avant la catastrophe nucléaire. Très peu de retours y sont attendus dans ces zones. Selon l’Asahi, 158 personnes, soit environ de 1,2 % de la population, sont rentrées là où les ordres d’évacuer ont déjà été levés, alors que les travaux de décontamination et de réhabilitation ont coûté 320 milliards de yens (2,1 milliards d’euros).

Le gouvernement ne continuera à décontaminer et réhabiliter les zones les plus contaminées que si les populations reviennent. Les 6 communes concernées espéraient le retour d’environ 8 000 personnes, mais 2 % sont revenues. Dans le district de Nagadoro d’Iitaté, où l’ordre d’évacuer vient d’être levée, seulement 7 habitants sur 197 ont demandé l’autorisation à passer la nuit chez eux pour se préparer au retour. La suite des travaux semble donc être compromise.

135ème versement financier pour TEPCo

TEPCo annonce avoir reçu le 135ème versement financier de la part de la structure gouvernementale de soutien qui lui avance de l’argent pour les indemnisations : 85,8 milliards de yens (572 millions d’euros au cours actuel). Rappelons que cet argent est prêté sans intérêt.

En prenant en compte ce versement et les 188,9 milliards de yens venant de l’Act on Contract for Indemnification of Nuclear Damage Compensation, TEPCo a reçu un total de 11 002,1 milliards de yens (73,34 milliards d’euros au cours actuel) et cela ne suffira pas.

Cancers de la thyroïde chez les jeunes de Fukushima – bilan 2022

L’ACRO a effectué un suivi de la catastrophe de Fukushima et de ses conséquences pendant 11 ans de façon entièrement bénévole. Ce travail s’est arrêté au printemps 2022. Mais, suite à une demande de conférence sur le sujet, voici les dernières données disponibles concernant les cancers de la thyroïde chez les jeunes de la province de Fukushima.

Les dernières données officielles ont été mises en ligne en mars 2023, suite à la 47ème réunion  du comité de suivi. Une traduction non-officielle en anglais est disponible ici. Pour rappel, nous avions publié, en 2021, à l’occasion du dixième anniversaire de la catastrophe, une revue de littérature scientifique sur le sujet.

Rappelons que tous les jeunes de Fukushima, qui avaient moins de 18 ans lors de la catastrophe nucléaire ou qui étaient encore dans le ventre de leur mère (nés entre le 2 avril 1992 et le 1er avril 2012), peuvent bénéficier d’un dépistage tous les deux ans par échographie. Même si le taux de participation baisse, certains en sont à leur 5ème examen médical. Après 20 ans, le dépistage suivant se fait à l’âge de 25 ans.

Le tableau ci-dessous synthétise les données issues du dépistage officiel qui sont ici en japonais. Elles sont datées du 30 septembre 2022 pour les dépistages les plus récents (5ème campagne et plus de 25 ans). Comme le taux de dépistage diminue au fur et à mesure des campagnes, le nombre de cas réel est forcément plus élevé. De plus, les cas de cancer détectés en dehors du programme de suivi ne sont pas pris en compte, même si l’intervention chirurgicale a eu lieu à l’université de médecine de Fukushima, en charge du suivi… Enfin, le dépistage gouvernemental n’a lieu que dans la province de Fukushima alors que les provinces voisines ont aussi été touchées par les retombées radioactives. Les cas de cancer de la thyroïde qui pourraient y apparaître échappent aussi aux données officielles.

  Dépistages avec résultat Examens complémentaires terminés Cytoponctions Nombre de cancers suspectés Nombre de cancers confirmés
Première campagne 300 472 2 091 547 116 101
Deuxième campagne 270 552 1 834 207 71 56
Troisième campagne 217 922 1 068 79 31 29
Quatrième campagne 183 410 1 016 91 39 34
Cinquième campagne 82 368 615 54 26 16
Plus de 25 ans 10 201 416 36 19 11
Bilan des campagnes de dépistage du cancer de la thyroïde chez les jeunes de Fukushima au 30 septembre 2022.

On arrive donc à un total de 302 cas de cancer de la thyroïde suspectés suite au dépistage exercé par l’université de médecine de Fukushima. Parmi eux, 248 enfants ont subi une intervention chirurgicale qui a conduit à identifier 1 nodule bénin, 244 carcinomes papillaires, 1 carcinome peu différencié, 1 carcinome folliculaire et 1 autre cancer de la thyroïde.

Les cas détectés lors de la première campagne pouvaient exister avant la catastrophe nucléaire. Les cas découverts lors des campagnes suivantes n’existaient pas deux ans auparavant, lors du dépistage précédent. Or, le nombre de cas nouveaux, qui n’ont été détectés qu’à partir de la seconde campagne de dépistage (186), est plus élevé que le nombre de cas détectés lors de la première campagne (116). Ces nouveaux cancers se sont aussi développé rapidement, même s’il n’y avait pas encore de signes cliniques. Plusieurs récidives ont aussi été observées, entraînant parfois une deuxième intervention chirurgicale.

Le bilan synthétique indique aussi que 18 de ces enfants avaient moins de 5 ans au moment de l’accident. Les très jeunes enfants ont été particulièrement touchés par les retombées radioactives de Tchernobyl. Lors des premières années de la catastrophe de Fukushima, l’absence de cas de cancer chez les très jeunes enfants était utilisé comme argument pour prétendre que la radioactivité n’était donc probablement pas à l’origine de l’élévation significative du nombre de cancers de la thyroïde chez les jeunes. Ce point est passé sous silence maintenant que des cas ont aussi été découverts à Fukushima.

Tout le monde s’accorde pour constater qu’il y a beaucoup plus de cas de cancer de la thyroïde qu’attendu, car il est très rare chez les jeunes. En revanche, il n’y a pas consensus sur la cause de la sur-incidence. Le discours officiel met en avant le dépistage qui a permis de découvrir très tôt des cancers qui se seraient développés lentement autrement et joue sur le fait que l’on ne peut pas démontrer que la radioactivité en est à l’origine. Le discours officiel ne dit jamais que l’on ne peut cependant pas exclure non plus que certains de ces cancers soient radio-induits. Selon Libération, Shin’ichi Suzuki, le chirurgien qui a opéré la plupart des tumeurs cancéreuses découvertes par ce programme, optait initialement pour l’hypothèse du surdiagnostic. Il s’est depuis ravisé, au vu du nombre de cas mais aussi en observant ces dernières années des évolutions nettes des maladies, avec métastases et récidives. Sans en déduire catégoriquement que les radiations dues à la catastrophe nucléaire sont en cause, il écarte désormais clairement le surdiagnostic et exige que le suivi se poursuive encore des années.

Fin du transfert des terres radioactives de Fukushima vers le centre d’entreposage centralisé

Les travaux de décontamination ont entraîné l’accumulation de tonnes de terres radioactives pour lesquelles un entreposage centralisé est en cours de remplissage autour de la centrale de Fukushima daï-ichi. La loi impose que tous ces déchets, répartis un peu partout où il y a eu des chantiers de décontamination, soient transférés sur le site d’entreposage centralisé situé dans sur les communes d’Ôkuma et Futaba avant le 31 mars 2022, qui correspond à la fin de l’année fiscale 2021. La page dédiée en anglais du ministère de l’environnement, qui permet de connaître l’avancement, n’a pas été mise à jour depuis juillet 2020…

Selon l’Asahi, le transport est bloqué pour les terres de quelques 830 sites de la province de Fukushima. Cela représente un total de 8 460 m3 alors sur un total de l’ordre de 14 millions de mètres cubes de déchets accumulés à Fukushima. Pour la moitié des cas recensés lors d’une enquête effectuée en septembre 2021 auprès des communes, une habitation a été construite sur le terrain où les déchets étaient enfouis. Environ 30 % des cas résultent du refus des propriétaires fonciers de prendre en charge les frais de transport, tandis qu’environ 10 % sont dus à l’incapacité des autorités à contacter les propriétaires fonciers. Au fil du temps, la propriété des parcelles de terrain a changé en raison de transactions de vente et de questions d’héritage. Certains propriétaires n’avaient aucune idée que leurs parcelles contenaient des matériaux radioactifs. Mais les communes se veulent rassurantes : sur tous ces sites, le débit de dose ambiant est inférieur à 0,23 µSv/h, seuil à partir duquel il faut effectuer des travaux de décontamination.

Le gouvernement et les autorités régionales de Fukushima sont en négociation depuis 18 mois sur le sort à réserver aux sols contaminés qui ne pourront pas être déplacés dans les temps impartis. Le ministère de l’Environnement a demandé aux communes de continuer à les gérer, conformément à une directive de décembre 2020 qui les rend responsables des déchets issus des travaux de décontamination qu’elles ont menés. Les communes, quant à elles, demandent au gouvernement de prendre en charge ces déchets car leurs moyens sont limités.

L’entreposage centralisé n’est prévu que pour trente ans. Après 2045, tous ces déchets doivent être repris pour être stockés en dehors de la province de Fukushima. Faute de pouvoir trouver un site, le gouvernement veut les “recycler”, à savoir les utiliser pour la construction de digues, routes… Mais, en dix ans, la mémoire de certains déchets a été perdue. Qui se souviendra d’eux dans ils auront été dispersés dans tout le pays ?

L’ACRO avait rédigé un cahier d’acteur sur le sujet, dans le cadre du débat national sur le plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR) qui a eu lieu en 2019.

Doses prises par les travailleurs à la centrale de Fukushima daï-ichi

A l’approche du 11ème anniversaire de la catastrophe nucléaire, voici un bilan sur le nombre de travailleurs exposés aux rayonnements ionisants à la centrale de Fukushima daï-ichi et des doses qu’ils ont prises. TEPCo publie tous les mois un tableau avec des données statistiques et notre dernier bilan remonte à octobre 2021. Rappelons que la compagnie remet les compteurs à zéro tous les cinq ans. Ainsi, suite au dixième anniversaire, elle vient de repartir pour une nouvelle période de cinq années. Une telle pratique est surprenante.

Les dernières données publiées sont à la date du 31 janvier 2022 et montrent qu’environ 6 800 travailleurs sont exposés chaque mois. La dose moyenne mensuelle reçue varie de 0,32 à 0,37 mSv, sachant que la limite annuelle est de 20 mSv en moyenne sur 5 ans. Ce sont les sous-traitants qui prennent les doses les plus fortes avec un maximum de 10,28 mSv sur le seul mois de janvier.

D’avril 2021 à janvier 2022, 9 628 ont été exposés, avec, comme toujours, une majorité de sous-traitants qui prennent les plus fortes doses : la dose moyenne des employés de TEPCo sur cette période est de 0,69 mSv et celle des sous-traitants de 2,31 mSv, avec un maximum à 17,08 mSv. Le tableau donne aussi les doses à la peau et à la cornée.

Pour mémoire, comme nous le rappelions dans notre dernier bilan chiffré annuel, pour la première période allant du 11 mars 2011 au 31 mars 2016, 46 956 travailleurs ont été exposés aux rayonnements ionisants sur le site de la centrale accidentée de Fukushima daï-ichi, dont 42 244 sous-traitants. Et les données publiées en avril 2021 permettent de connaître le nombre de travailleurs qui ont été exposés entre le 1er avril 2016 et le 31 mars 2021 : 25 024 dont 90% de sous-traitants (22 568). Sur ces cinq années, la dose externe moyenne reçue par les sous-traitants est de 6,96 mSv, alors qu’elle est de 3,28 mSv pour les employés de TEPCo. Les sous-traitants ont donc pris 95% de la dose externe collective correspondante, qui est de 165 hommes.sieverts.